L’éducation thérapeutique du patient – Patient expert ou patient ressource ?

André GRIMALDI

Service de diabétologie hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris
https//www.edimark.fr/Front/frontpost/getfiles/22328.pdf   

La critique des fourvoiements et des conflits d’intérêts de certains experts scientifiques, l’existence d’un réel savoir profane expérientiel, la pertinence de contre-expertises développées par des associations de citoyens ou de patients ont conduit à l’émergence du concept de « patient expert ». L’oxymoron a fait florès dans une société inquiète où la méfiance à l’endroit des experts se transforme en suspicion à l’égard de la science. Le concept nécessite clarification.

Qu’est-ce qu’un « patient expert » ? Un patient qui en sait long sur sa maladie et qui a su prendre le recul indispensable pour l’accepter et la gérer au quotidien ; un patient expert de lui-même qui, lors de la consultation avec le professionnel pose des questions, discute les réponses et parfois, apporte des informations à l’expert scientifique. Cet expert profane apprécie que l’expert scientifique n’hésite pas à reconnaître les limites de son savoir et de son expertise. Mais ce patient a besoin de valider son expertise profane en la confrontant à celle de l’expert scientifique. Dans notre expérience de diabétologue, il est d’ailleurs rare que ce patient expert change de médecin. Ce patient peut accéder à la demande de l’équipe professionnelle d’être un « patient ressource » pour des patients novices ou en difficulté, en les faisant bénéficier de son expérience personnelle. Il peut encore participer au sein des associations de patients à différentes activités d’aide aux patients ou à leur entourage. Il peut enfin participer, à la demande des médecins universitaires, à l’enseignement de la relation médecin/malade, comme cela se fait à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Ce patient expert est nécessairement un bénévole, donnant de son temps à la demande des équipes de soins ou d’associations de patients reconnues.

Mais une toute autre conception est développée par certaines associations de patients et par certains « spécialistes » de l’éducation thérapeutique faisant du patient expert, non pas un expert de lui-même mais un expert pour les autres, un nouveau professionnel de santé ayant suivi une formation structurée sur la maladie, ses complications et ses traitements ainsi que sur la psychologie cognitivo-comportementale et la communication. Tout au contraire du patient ressource, on lui demande de faire abstraction de son expérience personnelle. Cette formation universitaire serait sanctionnée par une évaluation qualifiante donnant droit au statut de « médiateur » entre les professionnels et les patients étant entendu ou plus exactement sous-entendu, que les professionnels ne peuvent pas savoir ce qu’est le vécu de la maladie, quand ils ne s’avèrent pas incapables de parler un langage intelligible par les patients. Il est d’ailleurs bien connu que les médecins ne soignent pas des malades mais seulement des maladies et que « de toute façon les autres les biens-portants, soignants comme non-soignants, ne peuvent pas comprendre ce qu’ils n’ont pas vécu ».Cette position en faveur de la définition d’un nouveau métier un peu infirmière, un peu psycho-communicant, pose quelques questions : y aura-t-il à l’issue de la formation des reçus et des collés ? Faudra-t-il être un « bon » patient, bien observant ou mieux un « repenti » pour postuler au titre de « patient expert » ? Ce « patient expert » professionnel sera-t-il rémunéré ? Pourra-t-il postuler à des postes hospitaliers ou développer une clientèle ? Devra-t-il être assermenté ? Mais pourquoi faudrait-il être patient pour accéder à ce nouveau métier ? Pourquoi une personne ayant une glycémie à 1.24 serait-elle exclue de l’accès au titre de « patient expert en diabétologie » ? Doit-on envisager des pré-patients experts et pourquoi pas de conjoints experts de patients eux-mêmes experts ou non experts ?

L’idéal serait donc la double expertise à la fois scientifique et profane, celle du médecin spécialiste de la maladie dont il est lui-même atteint. Hélas, on peut être très bon pour les autres et très mauvais pour soi et réciproquement. C’est pourquoi il est vivement déconseillé à un médecin de se soigner lui-même et même de soigner sa famille.

Mais si la notion confuse de « patient expert » se répand, c’est aussi qu’elle entre en résonance avec la promotion du prétendu « nouveau patient », consommateur éclairé, informé, voire surinformé laissant ses affects à la maison pour choisir aujourd’hui le meilleur rapport bénéfice/risque parmi les prestations offertes par les professionnels et demain le meilleur rapport bénéfice/coût parmi les gammes proposées par son assurance santé privée. Elle reçoit aussi le renfort des relativistes, partisans des médecines dites alternatives, pour lesquels tout se vaut : pas de vérité ! Tous experts !